Livres, Disques
Disques : raretés et artistes rares...
Par Christian Eudeline 15/03
« Paradis Retrouvé » n'est pas le nouveau disque de Christophe, il faudra pour cela encore attendre jusqu'à l'automne, ce n'est pas non plus le Christophe populaire de « Senorita » ou « Les Mots Bleus », mais plutôt un chercheur de sons amateur d'expérimentations, parfois barrées mais toujours mélodiques, qui nous ouvre ses malles à trésors. L'homme étant un collectionneur né, cela n'étonnera personne qu'il aie tout gardé, on annonce que cela pourrait n'être que le premier volume d'une longue série. Les amateurs sont prévenus.
Ce disque compile donc des vignettes sonores enregistrées entre 1970, date de commercialisation de la bande originale du film « La Route De Salina », et l'album du grand retour « Bevilacqua », sorti en 1996. Grand retour parce qu'entre le disque « Clichés D'Amour » de 1983 et « Bevilacqua » Christophe avait disparu des radars, il n'avait tout simplement plus sorti d'albums, préférant collectionner juke-box et films en 35 mn. Le disque s'ouvre sur un dialogue de film, que certains reconnaîtront s'ils étaient à l'Olympia en mars 2002. Pour les cinéphiles, oui il s'agit bien du film de Billy Wilder, » Boulevard Du Crépuscule ».
Intermède entre deux concerts, deux disques, ce CD est avant tout un hommage de Christophe à Francis Dreyfus, son producteur et ami de quarante ans, fondateur du label Motors dont il fut la première signature. Disparu au mois de juin 2010, c'est l'une des ses filles, Laura qui a mené à terme ce projet. Car si Christophe est un gardien de musée, il ne vit pas dans la poussière. Tourné vers l'avenir, toujours à l'affût de nouvelles sonorités, n'ayant jamais assez de temps pour écrire la suite de son histoire, le créateur ne se retourne pas en arrière. En revanche, conserver des traces semble le rassurer, comme des fondations solides indispensables à l'édification de l'étage suivant.
C'est d'ailleurs ce qui frappe en premier à l'écoute de ce disque, la formidable envie de créer, de toujours innover et aller de l'avant. On y découvre un Christophe en quête de mélodies ultimes, il n'y a par exemple pas de texte abouti, mais des mélopées « onomatopales » _ du « yaourt » ou comme dirait Christophe du « yop » _, soit des suites de mots qui sonnent mais qui n'ont pas encore trouvé sens.
Ce n'est pas le Christophe grand public que l'on y entend, donc, mais plutôt un père tutélaire de Sébastien Tellier. Sur le disque, treize titres, dont « L'Italiano » que les fans reconnaîtront facilement puisque sur le disque « Pas Vu Pas Pris » elle apparaît dans une version plus définitive sous le nom de « L'Italie ». Dans un moment de détente au studio Ferber Christophe s'est mis au piano et a voulu faire comme ces « roucouleurs » transalpins, il improvise une magnifique mélodie sur laquelle Louis Deprestige et Yann Molin poseront un texte. Les amateurs reconnaîtront également la parenté entre « Take A Night », métamorphosée en « Les Tabourets du bar », (toujours sur « Pas Vu Pas Pris ») ou le premier titre « Silence on meurt » devenu une face B de 45 tours sous le nom de « Voix sans issue ». Ils pourront dés lors mesurer le chemin qu'une chanson doit parcourir avant d'éclore au grand jour. Ce n'est pas parce que les contours du tableau semblent posés qu'il se dessine aisément.
Il y a plusieurs plages jamais rendues publiques telles « Baby The Babe », « Night Welcome », « Take It », ce qui laisse d'ailleurs Christophe dire que ce disque est l'un des plus intimes qu'il n'ait jamais sorti, comme si l'on avait pour une fois le droit de fouiller dans sa mémoire et autres affaires personnelles.
Il y a plusieurs indices sur le parcours de l'artiste, avec ce « Harp Odyssey », l'orthographe exacte aurait voulu ARP Odyssey, un Minimoog devenu l'un des instruments de prédilection de Christophe et qui trône toujours fièrement dans sa salle de travail chez lui du côté de Montparnasse, et qui ici rend inconsciemment hommage au groupe d'Alan Vega, Suicide, que Christophe adore. Il y a aussi ce tribut au journaliste Jean-Michel Desjeunes, ex animateur d'Europe 1 qui s'est donné la mort en 1979 en se défenestrant et que Christophe appréciait tout particulièrement.
Ce disque est une excellente façon de découvrir une autre facette de Christophe, le dandy travailleur, il y a une sorte d'empreinte à la Des Esseintes de remettre toujours et encore sur l'établi le même ouvrage pour atteindre la transmutation. Car sous ses airs vaguement lunaires, Christophe est un travailleur acharné et méthodique, mais également extrêmement doué et enchanteur, n'est-ce pas après tout le principal ?
C.E.
1 CD Dreyfus/Sony